Modélisation des climats anciens

De nombreux éléments de preuve indiquent que le réchauffement planétaire est sans équivoque (GIEC, 2007). Ces preuves sont notamment fournies par des observations, par exemple de la température atmosphérique et océanique, ou proviennent du constat de la fonte des calottes polaires, de la régression des glaces marines en Arctique et des manteaux neigeux hivernaux, ou de l’élévation du niveau des océans... Mais que peuvent apporter les modèles climatiques ?

Les modèles de climat sont des représentations relativement complexes du système climatique réel. Ils s’appuient sur les lois de la physique et sont sans cesse confrontés aux observations actuelles, qui sont relativement abondantes notamment en raison de l’émergence de données satellites. Ces observations permettent de valider ou d’invalider un modèle, d’améliorer la représentation de son contenu physique, par exemple en le complexifiant... On peut alors se poser la question suivante : les lois physiques qui gouvernent le climat actuel de la planète sont-elles toujours valides si la composition de l’atmosphère évolue significativement ?

Une manière de répondre à cette question est par exemple d’effectuer des simulations climatiques d’un climat passé très différent du nôtre, et pour lequel nous disposons à la fois d’informations sur la composition atmosphérique en gaz à effet de serre, et sur la température en de nombreux points du globe.

Les carottes de glace prélevées en Antarctique et au Groenland nous apportent des informations précises sur les teneurs atmosphériques en gaz à effet de serre depuis plusieurs centaines de milliers d’années. Par exemple, nous savons que lors de la période la plus froide du dernier âge glaciaire (le dernier maximum glaciaire, il y a environ 20000 ans), la concentration atmosphérique du CO2 était de seulement 185ppm (parties par million, 1ppm étant l’équivalent de 1cm3 par m3), à comparer avec une valeur approchant 390ppm actuellement. L’analyse des mêmes carottes de glace permet aussi d’estimer quelle était la température de l’air au niveau des calottes où elles ont été prélevées. La température de nombreuses autres régions du globe au dernier maximum glaciaire peut être estimée par exemple à partir de l’étude de pollens pour les régions continentales, ou d’analyses de sédiments marins pour les océans. Il est alors possible, sur la base ces estimations de température en divers points du globe, de reconstruire le climat du dernier âge glaciaire. Il apparaît que ce climat était de 4 à 7° plus froid que le climat actuel. Par ailleurs, le niveau des océans à cette époque était environ 120m plus bas qu’actuellement. Une grande partie de l’Amérique du Nord avait disparu sous l’immense calotte des Laurentides. L’Europe du Nord et les Iles Britanniques étaient respectivement recouvertes par les calottes fennoscandienne et anglo-irlandaise.

Pour vérifier si un modèle climatique validé sur le climat actuel parvient à simuler le climat du dernier maximum glaciaire, il convient d’y modifier la description du relief terrestre, en tenant compte des changements liés aux calottes glaciaires et au niveau des océans. Par ailleurs, les paramètres orbitaux régissant la révolution de la Terre autour du soleil, et l’inclinaison de l’axe des pôles doivent être conformes aux valeurs d’il y a 20000 ans. Enfin, la transformation du modèle de climat en version "dernier âge glaciaire" est complétée par la modification des teneurs atmosphériques en gaz à effet de serre, qui doivent être conformes aux mesures fournies par les analyses de carottes glaciaires. De nombreux modèles du GIEC, dont le modèle de Météo-France, se sont livrés à la même expérience et simulent un climat du dernier maximum glaciaire plus froid de 3 à 5° en moyenne planétaire (IPCC, 2007), ce qui est proche des estimations actuelles que fournissent les indicateurs de température cités plus haut. Une telle expérience, réalisée sans modifier les lois physiques sur lesquelles sont bâtis les modèles, contribue à augmenter le crédit qu’il est possible d’accorder à des simulations de climats très différents du nôtre, comme devrait l’être celui de la fin du 21ème siècle.

Des exercices similaires ont été réalisés également avec succès au CNRM sur des climats plus anciens, cette fois sur une période climatique un peu plus chaude que la nôtre, l’Eemien (entre 131000 et 114000 ans avant le présent). D’autres groupes de recherche simulent couramment des climats anciens bien plus chauds, de manière également réaliste.

IPCC, 2007 : Climate Change 2007 : The Physical Science Basis. Contribution of Working Group I to the Fourth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change [Solomon, S., D. Qin, M. Manning, Z. Chen, M. Marquis, K.B. Averyt, M.Tignor and H.L. Miller (eds.)]. Cambridge University Press, Cambridge, United Kingdom and New York, NY, USA (disponible sur http://www.ipcc.ch).