Contribution des aérosols au changement climatique observé en Europe

La diminution des aérosols sulfatés anthropiques explique une partie des tendances climatiques en Europe et en Méditerranée observée depuis 1980.

Depuis plus d’une trentaine d’années, la quantité d’aérosols en Europe et en Méditerranée a été significativement réduite suite à la diminution des émissions anthropiques. Ces variations constituent une hypothèse probable pour expliquer l’évolution du rayonnement incident en surface qui a connu une augmentation importante sur la même période, ce qui est néanmoins mal reproduite par les modèles globaux et régionaux de climat. Dans cette étude menée par des chercheurs de Météo-France et du Laboratoire d’Aérologie en collaboration avec des équipes suisse et espagnole, une nouvelle approche de modélisation est utilisée afin de quantifier la contribution des aérosols aux tendances de rayonnement et de température dans cette région.

Depuis le début des années 1980, l’Europe a connu une augmentation importante du rayonnement solaire incident en surface. Ce phénomène appelé « brightening » (éclaircissement), succédant à une période marquée par l’effet inverse de « dimming » (assombrissement), ne peut pas être expliqué seulement par les variations de nébulosité. En revanche, une hypothèse plus probable consiste à considérer les aérosols sulfatés anthropiques, dont les émissions de leurs précurseurs ont considérablement diminué depuis 1980 suite à la mise en place de nouvelles normes dans les industries et le transport pour améliorer la qualité de l’air, et aux crises économiques des années 1980 en Europe. Jusqu’à maintenant, la plupart des modèles globaux et régionaux de climat peinent toutefois à reproduire correctement les variations décennales observées de rayonnement en Europe, mais aussi pour certains le réchauffement observé depuis une trentaine d’années.

Dans cette nouvelle étude publiée dans la revue Geophysical Research Letters, la question de la contribution des aérosols aux tendances climatiques des trois dernières décennies a été abordée au moyen d’une approche originale. En effet, des simulations numériques ont été réalisées en utilisant un système de modélisation régionale comprenant un couplage complet entre l’atmosphère, la mer Méditerranée, les surfaces continentales, et les rivières, tout en assurant la reproductibilité des conditions météorologiques observées de grande échelle grâce à un pilotage aux bords du domaine régional par une réanalyse. Ces simulations, menées sur la période de brightening (1980-2012), en incluant ou non la diminution des aérosols sulfatés anthropiques, ont été évaluées à la lumière de séries temporelles récemment homogénéisées de rayonnement solaire et de température en surface.

Les résultats indiquent que l’augmentation du rayonnement solaire incident en surface quelles que soient les conditions nuageuses est plus importante dans le cas où la diminution des aérosols est prise en compte. Celle-ci permet ainsi de mieux reproduire à la fois la structure spatiale et l’intensité du brightening observé en Europe, révélant donc que les aérosols ont contribué à 81 ± 16 % du brightening en Europe. Des tests complémentaires sur les différents effets des aérosols montrent que c’est l’effet direct des aérosols qui prédomine dans cette tendance par rapport aux effets semi-direct et indirect.

De plus, ce travail révèle aussi que le réchauffement climatique en surface simulé par le modèle est sous-estimé en absence de variations de la quantité d’aérosols sulfatés. Ainsi, l’augmentation du rayonnement incident en surface entraîne un réchauffement supplémentaire, notamment dans les régions marquées par une forte diminution en aérosols anthropiques. La comparaison avec les séries temporelles homogénéisées prouve que la réduction des aérosols doit être prise en compte pour pouvoir reproduire correctement l’augmentation de température en surface, à la fois sur terre en Europe, et pour la température de surface de la mer Méditerranée. Les aérosols expliquent ainsi 23 ± 5 % de l’augmentation de température en surface en Europe, contribuant de manière notable au réchauffement climatique régional.

En résumé, les résultats obtenus soulignent l’importance des aérosols dans le changement climatique observé en Europe et en Méditerranée, et confirment le besoin de mieux les représenter dans les projections climatiques.

Nabat, P., S. Somot, M. Mallet, A. Sanchez-Lorenzo, and M. Wild (2014), Contribution of anthropogenic sulfate aerosols to the changing Euro-Mediterranean climate since 1980, Geophys. Res. Lett., 41, doi:10.1002/2014GL060798.

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Comparaison des tendances de rayonnement solaire incident en surface (W/m²/décade) sur la période 1980-2009 pour deux simulations régionales avec (TRANS) et sans (REF) inclusion de la diminution des aérosols sulfatés. Les points colorés indiquent des séries temporelles observées.