Les hétérogénéités d’humidité du sol favorisent le développement des orages au Sahel

Des travaux menés en collaboration par des chercheurs anglais du CEH(1) et français du GAME(2) ont mis en évidence une augmentation significative de la fréquence d’initiation d’orages en zone sahélienne semi-aride lorsque l’humidité du sol superficiel présente des hétérogénéités à des échelles spatiales de quelques dizaines de kilomètres. Les configurations observées suggèrent que les circulations atmosphériques induites par ces hétérogénéités de surface jouent un rôle important dans l’initiation des orages de cette région. Cette sensibilité à la surface s’avère d’autant plus marquée que l’environnement atmosphérique est peu propice aux développements convectifs. Les rétroactions identifiées sont ainsi susceptibles d’influencer les épisodes de sécheresse en milieu semi-aride, dans des régions particulièrement sensibles aux évolutions climatiques. Ces résultats sont publiés dans le numéro de juin de Nature Geoscience.

Cette étude est réalisée au Sahel pendant la mousson africaine, lorsque les passages répétés d’orages convectifs génèrent une grande variabilité spatiale et temporelle de l’humidité du sol superficiel. Dans cette région semi-aride subtropicale, le nombre d’orages conditionne aussi, fortement, le cumul annuel de précipitations ainsi que ses variations inter-annuelles. Un grand nombre d’observations satellitaires des nuages et de la surface complétées par des analyses météorologiques ont été utilisées pour explorer la sensibilité de l’initiation d’orages aux structures spatiales de l’humidité du sol. Une approche statistique a été développée afin d’analyser individuellement plusieurs milliers de cas d’initiation diurne d’orages identifiés par des observations à haute résolution spatiale et temporelle (3 km et 15 min) au cours de cinq saisons de mousson.

Les estimations d’humidité du sol superficiel fournies quotidiennement par AMSR-E, avec une résolution spatiale d’environ 40 km, montrent tout d’abord que le nombre d’initiations d’orages est relativement uniforme sur la gamme d’humidités du sol observées. Des orages sont donc également susceptibles de se développer au dessus de surfaces sèches et humides. Cependant, lorsqu’on considère des zones d’environ 200 km x 200 km, les orages se développent plus fréquemment ( +25%) au dessus des surfaces les plus sèches et les plus chaudes, là où le flux de chaleur sensible à la surface, typiquement plus fort, renforce la croissance diurne de la couche limite convective. Les différences de flux favorisent également le développement de circulations atmosphériques depuis les zones les plus fraîches vers les zones les plus chaudes en basses couches. On observe donc à ces échelles une rétroaction négative entre humidité du sol et déclenchement de précipitations.

L’humidité du sol fluctue encore considérablement à plus petite échelle spatiale. Des séries d’observations satellitaires de température de surface (Ts) ont été utilisées pour définir un proxy de l’humidité du sol (anomalie journalière de Ts, aTs) à haute résolution (3 km). Les résultats obtenus montrent alors que la fréquence d’initiation d’orages augmente significativement lorsque des hétérogénéités de aTs sont observées à des échelles spatiales très fines, de quelques dizaines de kilomètres. Cette fréquence est plus que doublée lorsque l’écart type de aTs passe de 0.5K à 2.5K. Les analyses météorologiques indiquent que cette sensibilité à la surface est particulièrement marquée lorsque l’environnement atmosphérique est peu propice aux développements convectifs orageux.

Développement d’une cellule orageuse en zone semi-désertique

Lorsqu’on suit la direction de l’écoulement atmosphérique en basses couches, les orages s’avèrent préférentiellement initiés sur des surfaces plus sèches et chaudes situées environ 10 km en amont de forts gradients positifs d’humidité du sol. Ces configurations privilégiées suggèrent que les circulations atmosphériques induites par des hétérogénéités de surface observées à des échelles de quelques dizaines de km jouent un rôle important dans l’initiation des orages de cette région.

Les systèmes convectifs initiés se propagent ensuite typiquement sur plusieurs centaines de km, et renforcent les hétérogénéités d’humidité du sol observées à des échelles de quelques dizaines de km, sur de vastes distances en aval de leur point d’initiation. Cette rétroaction positive est contrainte par une augmentation simultanée de l’humidité du sol moyenne, puisque l’initiation de convection a lieu préférentiellement sur des zones en moyenne plus sèches à ces échelles.

C’est la première fois que des observations montrent de manière statistique l’importance climatologique de ces modes d’interactions surface-atmosphère opérant à des échelles de quelques dizaines de kilomètres. Leur sensibilité climatique reste à explorer dans la mesure où ils ne sont pas considérés par les modèles actuels.

Ces travaux ont été réalisés dans le cadre du projet AMMA et menés en collaboration par des chercheurs anglais du CEH(1) et français du GAME(2).

(1) GAME : Groupe d’études de l’Atmosphère Météorologique (CNRS et Météo-France)
(2) CEH : Centre for Ecology and Hydrology (Wallingford, UK)

Source : Frequency of Sahelian storm initiation enhanced over mesoscale soil moisture patterns. Christopher M. Taylor, Amanda Gounou, Françoise Guichard, Phil P. Harris, Richard J. Ellis, Fleur Couvreux, Martin De Kauwe. Nature Geoscience, 01 juillet 2011, DOI : 10.1038/NGEO1173.

Chercheuses contribuants à cette thématique : Françoise Guichard, Amanda Gounou et Fleur Couvreux - (CNRM-GAME/GMME/MOANA).

Un exemple de carte d’anomalies de température de surface (couleurs) sur laquelle sont superposées les séries d’iso-contours de nuages observés ce même jour, depuis la fin de la matinée (gris clair) au début de nuit (noir).
Sensibilité du nombre d’initiations d’orages aux hétérogénéités de surface à différentes échelles : à gauche, nombre d’initiation (N) en fonction de l’anomalie d’humidité du sol superficiel comparé à la moyenne sur un domaine de 200 km x 200 km - ces anomalies
sont calculées a partir de champs dont la résolution est de 40 km x 40 km ; à droite N en fonction de l’écart type de l’anomalie de température de surface aTs (aTs est utilisée comme proxi de l’humidité du sol) - les écarts types sont calculés sur des domaines de 40 km x 40 km à partir de champs dont la résolution est de 3 km x 3 km. Les probabilités d’initiation (P) associées sont indiquées sur l’axe de droite. Les valeurs de P obtenues pour deux sous-ensembles correspondant à des conditions atmosphériques favorables et peu favorables sont ajoutées sur le graphe de droite, le critère utilisé est l’altitude du niveau de convection libre (LFC), inférieur à 2 km pour les conditions ’favorables’ (courbe turquoise) et supérieur à 3 km pour les conditions défavorables (courbe orange).
Schéma simple de l’impact d’hétérogénéités de l’humidité du sol sur l’initiation de la convection ; cette configuration humide/sec/humide idéalise un cas de figure récurrent émergeant des observations. En conditions de vent faible dans les basses couches atmosphériques (flèche noire), les circulations atmosphériques induites par ces hétérogénéités (flèches bleues) génèrent une ascendance sur la partie droite de la surface chaude et sèche là où le courant fort et peu épais (courbe bleue) qui se développe depuis la surface froide et humide à gauche vers la surface chaude rencontre le vent moyen de direction opposé. Les initiations observées (nuage schématique) se situent préférentiellement au niveau de cette zone d’ascendance. Des convergences additionnelles, plus faibles (courbe bleue pointillée) sont induites par les gradients d’humidité du sol situés en amont de la surface chaude.