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Questions sur les mécanismes des tempêtes METEO-FRANCE

27   Fait-on encore des recherches sur les tempêtes, où peut-on en savoir plus ?



  Figure 38 :Sur cette animation, le trait vert indique la progression d'une tempête de l'Atlantique et sa trajectoire. Les divers autres symboles (avions, navires, ballons symbolisant des radiosondages) montrent les moyens d'observation employés pendant la campagne de mesure FASTEX. L'animation permet de voir aussi qu'ils sont employés en séquence, de manière à suivre la tempête au cours de son évolution. Réussir ce suivi était le principal objectif expérimental: une dizaine de cas ont ainsi fait l'objet d'observations répétées à plusieurs moments de leur cycle d'évolution. Le meilleur et plus long suivi a eu lieu autour du 18 février 1997.  

  Les tempêtes et les dépressions des latitudes tempérées constituent en effet un sujet de recherches actives. La remise en question des anciens modèles explicatifs et théoriques intervenue depuis dix à quinze ans a entièrement relancé ce sujet. En France, à la suite des tempêtes de l'hiver 1989--1990 (voir la fig. 5), l'idée d'un programme spécifique des tempêtes sur l'Atlantique a germé. Petit à petit (car ces choses-là ne se font pas du jour au lendemain), le projet FASTEX (Fronts and Atlantic Storm-Track Experiment: Expérience sur le Rail des Dépressions Atlantique et les Fronts) s'est construit.

Ce projet rassemble des chercheurs des continents américains et européens, associant de nombreux laboratoires et institutions. Il comporte une importante campagne de mesure qui a permis d'observer le rail des dépressions de janvier et février 1997 en détails. Jusqu'à 4 navires et jusqu'à 7 avions ont été déployés avec pour principal objectif de suivre le cycle d'évolution de dépressions d'un bord à l'autre de l'océan (fig. 
38). Avant FASTEX, on avait concentré des moyens de mesures pour observer un moment de la vie d'une tempête: FASTEX s'intéresse à l'évolution elle même. En France, FASTEX est l'un des projets prioritaires du Programme Atmosphère et Océan à Multi-Echelle, programme interorganisme de l'INSU, de Météo-France, de l'IFREMER, du SHOM et du CNES.

Le premier leg de FASTEX à la communauté scientifique est une Base de Données exceptionnnelle, ouverte à toutes celles et tous ceux qui travaillent sur le sujet des tempêtes. Elle contient de la documentation, un atlas de cartes en ligne permettant un premier examen des cas et de leur évolution. Elle comporte surtout des données sous diverses formes: une collection de profils verticaux distribués tout au long du rail, des champs cohérents analysés à tous les niveaux, des images, etc.

Les premiers résultats scientifiques de FASTEX sont sous presse: ils sont regroupés dans un numéro spécial du
Quarterly Journal of the Royal Meteorological Society. Parmi ces résultats, certains ont permis d'établir assez rapidement le scénario d'évolution de la tempête T1 (fig. 32).

Le projet FASTEX ne s'intéresse pas seulement à la dynamique des tempêtes. Il comprend un volet touchant à leur prévision. Le rail des dépressions, représenté dans une simulation numérique, possède des propriétés d'amplification des petites erreurs sur la connaissance du temps qu'il fait: ce qui en sort n'est pas toujours facile à prévoir (voir question 
26). FASTEX sert donc de banc d'essai à de nouvelles techniques d'assimilation des données, qui se révèlent efficace dans ce contexte. Ces techniques utilisent le modèle comme une source d'information et permettent d'utiliser les observations de manière continue plutôt que par paquets à certains instants donnés. Une autre approche de l'observation, appelée observation adaptative, a été essayée et évaluée à l'occasion. Il s'agit de concentrer les observations dans les régions où des incertitudes initiales sont les plus pénalisantes pour la prévision à venir. Enfin, FASTEX possède des volets permettant de progresser dans la connaissance et la modélisation des processus internes aux systèmes nuageux qui accompagnent les tempêtes.

D'autres programmes nationaux interorganismes, comme le Programme National d'Etude de la Dynamique du Climat, étudient par ailleurs le lien entre le rail des dépressions, le climat et son évolution. Les événements que nous avons connus cette année renforcent le besoin d'étudier comment l'évolution du climat influence la distribution des systèmes météorologiques comme les cyclones tropicaux, les tempêtes, les regroupements de nuages convectifs qui donnent des inondations soudaines, etc.

La suite de cette page est sans doute plus technique, on peut s'en dispenser dans une lecture rapide.

Un moment clé dans les scénarios explicatifs proposés est l'interaction entre T1 et l'extrémité est du courant-jet (Questions 
21 et 14). Le caractère spécifique de cette étape pour les tempêtes en Europe a été établi en dépouillant les données de FASTEX (Baehr et al., 1999).

Autre résultat de FASTEX qui éclaire l'évolution des tempêtes T1 et T2, la phase de propagation sans développement. De telles phases surviennent quand une nouvelle dépression échappe à l'influence de son précurseur d'altitude. Avant FASTEX, on imaginait qu'un précurseur d'altitude pouvait rattraper et dépasser la dépression à laquelle il a donné naissance. En fait, ceci casse le moteur et tue la nouvelle dépression. On n'imaginait pas que la dépression de surface puisse échapper à une interaction avec un tourbillon d'altitude, due à sa propagation accélérée par un effet indirect de la condensation de l'eau dans les nuages (Mallet et al., 1999, Baehr et al., 1999)

Les données de FASTEX vont continuer d'être étudiées. Certaines hypothèses initiales ont été démontrées, mais, comme toujours avec un ensemble de données plus riche, de nouvelles questions apparaissent. Pour donner aux résultats une valeur statistique, du travail est aussi fait sur les longues réanalyses homogènes des dernières décennies. Des tempêtes composites basées sur des centaines de cas sont ainsi venues renouveler notre vision des dépressions.

Les tempêtes de décembre 1999 peuvent aider à fixer une priorité dans l'étude des nouvelles questions. Pour étayer les explications à chaud proposées dans ces pages, les aspects suivants méritent d'être regardés de plus près:
  • l'interaction entre la dépression notée A dans la figure 2 et la situation de grande échelle sur l'Atlantique; cette dépression semble comme tirer un jet intense d'un bord à l'autre de l'océan; nous nous appuyons ici sur des résultats théoriques indiquant que les dépressions peuvent, en effet, créer une importante quantité de mouvement zonal (Simmons et Hoskins, 1980), mais il faut le vérifier et le quantifier dans le cas présent;
  • le bilan énergétique de la tempête T1 dans sa phase explosive devrait aussi être établi, de manière à confirmer l'aide indirecte apportée par la présence de la région de diffluence;
  • la phase initiale de la tempête T2 montre que ce système a pris du temps à se structurer: pourquoi exactement ?
Philippe Arbogast,
Gwenaëlle Hello,
Alain Joly,
Météo-France
Pour en savoir plus:
voici un site contenant de nombreuses données et informations sur les dépressions de l'Atlantique:
http://www.cnrm.meteo.fr/fastex/
 


A lire aussi:

 
Joly, A., 1995 :
Le front polaire : un concept dépassé qui a la vie dure.
La Recherche, 273, 128--135.
Joly, A., 1996 :
La dépression météorologique.
Dossier Pour la Science, L'atmosphère, 48--50.