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Questions sur les mécanismes des tempêtes METEO-FRANCE

8   Une «glissade» d'air polaire peut-elle expliquer une tempête ?



  Figure 9 :Ce schéma matérialise une des (nombreuses) idées peu physiques dans une approche assez répandue et assez ancienne qui voudrait faire précéder la formation des dépressions de descentes d'air polaire (en latitude, pas en altitude). Ceci exige l'existence d'une force située comme F sur le schéma (à gauche). Mais la seule propriété de cet air froid évoquée (dans ce genre d'approche) comme cause de son soudain mouvement est son poids: l'air froid, nous dit-on, est «lourd» . Ceci ne mène nulle part, et en tous cas, pas à une tempête: le poids de l'air, lourd ou pas, est dirigé vers le centre de la Terre; ce n'est pas lui qui fournit pas de force F.  

  Une certaine famille d'explication des dépressions et des tempêtes, utilisée par des météorologistes et d'autres, en donne pour «cause» le déplacement d'une masse d'air, en particulier une masse d'air froide. Ce mouvement de masse d'air, «cause» de la formation d'une tempête, doit donc la précéder. Cette approche est assez répandue, et cela depuis fort longtemps: beaucoup ne se sont pas satisfaits de l'idée d'instabilité spontanée du front polaire, assez abstraite en effet, et ont voulu trouver une raison plus franche à ses ondulations (cette idée remonte donc très loin). Les tenants de cette vision entreprennent alors d'expliquer pourquoi la masse d'air froid se met en mouvement. L'idée qui se dégage, exprimée avec plus ou moins de clarté, débouche tôt ou tard sur le fait que cet air froid est «lourd» et qu'il glisse, s'écoule sur la Terre. Il bouscule ensuite tout sur son passage, soulevant l'air chaud «léger» . Parfois, il s'embusque derrière des montagnes pour mieux nous surprendre d'un orage inattendu.

Avec ce type d'explication, on a quitté en fait le domaine de la physique. On s'en remet au seul poids des mots et des images. Au niveau de ces quelques pages, il est vrai que les explications que nous proposons semblent aussi reposer sur des mots et des images: c'est en fait un des problèmes de la communication scientifique. La grande différence se découvre en travaillant avec les méthodes de la physique, en prêtant attention à des choses comme la conservation de l'énergie, du moment cinétique, aux forces, etc. Et bien sûr, voilà plus de trois siècle que, pour éviter tous les pièges et les contradictions du langage, on fonde le raisonnement sur les mathématiques. Les idées que nous résumons ici sont une expression simplifiée à l'extrême de théories et faits d'observations dont les bases se trouvent dans des livres de
météorologie dynamique, comme celui de De Moor et Veyre (1991).

Bref, comme indiqué sur la figure 
9, le poids de l'air froid sur Terre est plutôt un handicap qu'une aide à se mouvoir.

Associer la prévision d'une tempête à la mise en route d'une masse d'air, c'est déjà être en retard sur l'événement (voir la réponse à 
25 pour en savoir plus sur la prévision du temps). En effet, si une masse d'air bouge, c'est que, quelque part, un moteur s'est constitué plusieurs dizaines d'heures avant: c'est là que sera la dépression. C'est là une idée simple basée sur la conservation de l'énergie: un mouvement de masse d'air, c'est du vent, le vent c'est de l'énergie cinétique. Cette énergie, d'où vient-elle ? Une fois sa source identifiée, comment s'est-elle convertie en vent ?

Cette question est la question centrale de la météorologie du 19
e siècle, qui a tout envisagé, tout essayé. Elle a été résolue par le météorologiste autrichien Max Margules vers 1903. Le mécanisme, lui, est connu depuis les années 1940: c'est le «moteur barocline» des réponses 6, 13 et 14.

Quand, dans les présentes pages, nous pointons un système météorologique qui se déplace ou se développe, nous l'associons à un mécanisme physique qui explique ce déplacement, même si la formulation en langage courant ne fait allusion qu'aux résultats et non à la démonstration elle même.

Une masse d'air homogène est, sur le plan dynamique, sans intérêt: aucune transformation d'énergie de grande échelle ne peut avoir lieu en son sein. Le rail des dépressions, en revanche, est comme une sorte de centrale thermique: c'est là que toutes les conversions ont lieu, que le mouvement se crée. C'est pourquoi il est le concept important ici.

Encore trois remarques:
  • considérer qu'une seule masse d'air, froide ou chaude, peut créer du mouvement est contraire au second principe de la thermodynamique: il faut donc toujours associer deux sources;
  • le principal facteur de variation de la pression est la hauteur de la colonne d'air et non sa température;
  • notre attention est parfois attirée sur la forme lenticulaire que prend l'air froid quand il gagne des latitudes sud à l'occasion (et non avant) de la formation de dépressions de grande échelle; cette forme est, en effet, très visible sur les images des satellites, mais on la retrouve aussi bien avec une bonne carte d'observations de surface.

    Cette forme est bien connue des météorologistes depuis au moins une centaine d'année: la tradition française est de la nommer «traîne» . Elle est une
    conséquence de la formation des dépressions: c'est le rôle même des dépressions, en se creusant, d'entraîner de l'air chaud aux hautes latitudes et altitudes et de l'air froid aux basses latitudes et altitudes. Cet ordre dans l'enchaînement des événements se montre aisément, au moyen de modèles très simples de l'atmosphère. On peut rendre l'air froid aussi froid et lourd qu'on veut, rien ne se passe. En revanche, tout se met en route dès qu'on touche le courant-jet, le rail des dépressions. A l'issue de cette mise en marche, les masses d'air se déplacent et l'air froid, en particulier, prend cette forme si identifiable (la figure 37 peut servir d'exemple: ne regarder que les isolignes rouges et noires).
 


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Version du 13 mars 2000

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